Exposition : 4 Place de Séoul (2007)

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Peindre à l’ère du numérique 

Du 19 au 22 octobre 2007 – 15h00 à 20h00

Vernissage le 18 octobre à 18h00       

4, Place de Séoul

75014 Paris (métro Montparnasse ou Gaité)

Quatre artistes contemporains exposent ensemble pour la première fois des œuvres dans le cadre exceptionnel de la Place de Séoul, immeuble dessiné par Ricardo Boffil

L’exposition « 4 Place de Séoul » présentait une série de  pièces de quatre artistes contemporains engagés dans des démarches très différentes, mais qui ont été réunis autour de  l’idée qu’il est nécessaire aujourd’hui d’articuler tradition et innovation, expérimentation et transmission en art, supports traditionnels de l’art et culture numérique, finalement modernité et postmodernité.

Pour eux, peindre aujourd’hui, c’est peindre dans un temps gouverné par le paradigme du réseau, traversé par l’essor des technologies qui influencent, modèlent nos comportements, et orientent nos régimes de croyance et nos modèles artistiques.

Plus qu’en termes d’outils venant s’ajouter à ceux qu’utilisaient déjà les peintres, c’est en termes  de milieu, de système, en termes de culture qu’il faut penser la technologie moderne.  En ce sens, ce serait moins la question de l’art numérique qui réunirait ces quatre artistes, que la manière dont le numérique travaille, traverse, oriente et désoriente les langages de l’art contemporain, dans leur très grande diversité, et, jusque dans les usages que fait cet art des  matériaux de la tradition.

  • Bernard Demiaux, né à Nice, est engagé depuis longtemps déjà dans une réflexion sur ces objets informationnels que sont les codes et langages des programmes informatiques, à partir desquels il réinvente, ou au moins retrouve, à l’extrême pointe de la calculabilité et de l’artifice, non seulement la nature dans son émergence et sa morphogenèse, mais aussi la peinture.

  • Patrick Baillet, pour sa part, semble poursuivre – dans une perspective essentialiste – ce que l’on pourrait appeler l’ontogenèse de l’acte de peindre lui-même, dans sa pureté originaire, dans l’évidence d’un geste nu et débarrassé de tout encombrement historiciste, comme de toute complaisance narrative, et même de tout surplus conceptuel. Tel est le sens des pièces qu’il propose ici. Son travail, dans son mouvement résolu vers une épure à la fois formelle et gestuelle, interroge la question du sacré dans nos sociétés postmodernes (en particulier dans la série des dépositions).

  • Quand à Reynald Drouhin, son art est difficile à circonscrire dans une catégorie trop bien définie, même si sa démarche s’inscrit assez clairement dans la veine des arts numériques, car il renouvelle constamment ses objets, ses objectifs, et ses méthodes d’investigation esthétiques de nos sociétés postmodernes. Il revisite ici la question centrale à l’âge moderne du monochrome.

  • Norbert Hillaire a une démarche de plasticien, qu’il situe en complémentarité, et en résonance avec sa démarche de théoricien des technologies numériques dans l’art et la culture – démarche de plasticien qui se présente comme la continuation de la recherche et la réflexion théorique par d’autres moyens. Il présente ici des études préparatoires à des travaux de plus grand format, études centrées sur la problématique du leurre, du jeu, de l’irrésolution, à l’œuvre dans la relation de l’homme et de l’animal, traitées à travers diverses techniques de calque, de cache, de révélation et d’opacification et de brouillage (voir texte ci-après). C’est toute la question ici encore du sacré, entendue comme celle d’un espace béni et banni à la fois, ce lieu en retrait du monde contemporain , mais qui n’en finit pas de faire retour dans ce même monde, qui est posée dans notre relation entre animalitas et humanitas, dont le sacrifice est un motif emblématique.

Œuvres exposées au 4 Place de Séoul : Techniques mixtes sur toile et papier.

Les travaux présentés ici sont, à quelques exceptions près, des études préparatoires à des pièces de plus grand format. S’il y a bien une constante anthropologique et esthétique dans l’histoire de l’humanité, c’est celle de la représentation de l’animal : qu’il surgisse sur les grottes de Lascaux comme un alphabet mystérieux et pour une part encore inexpliqué, qu’il soit la manifestation d’une essence intemporelle dans l’Egypte ancienne, motif ornemental dans l’architecture et les arts décoratifs, image du sacrifice dans l’iconographie religieuse, forme symbolique dans la science héraldique, substitut anthropomorphe dans les contes ou les bandes dessinées, l’animal agit, au-delà de l’histoire de l’art, comme un révélateur, un miroir de l’humanité au cours des âges. Cette histoire de la représentation de l’animal va de pair avec celle de sa domestication, et en un sens, la vision de l’animal dans les images est indissociable de la visée du chasseur avec sa ligne de mire, et avec elle de tous les pièges et autres leurres qu’aura inventés l’homme pour tenter de saisir et de se saisir de l’animal, de le piéger, de le capturer, de le domestiquer. De le faire sien, au point de l’anthropomorphiser jusqu’à la caricature.

Mais en agissant ainsi, c’est le miroir des propres pièges que l’homme se tend à lui-même qui nous est renvoyé. L’animal est aussi le révélateur paradoxal de la domestication de l’homme par lui-même, affirmant ainsi l’impossibilité de franchir la distance qui sépare l’un de l’autre, l’impossibilité d’un contrôle total exercé sur l’animal qui ne soit aussi un contrôle exercé par l’homme sur lui-même. Situation aujourd’hui d’autant plus exacerbée que nous vivons l’apogée des sociétés de contrôle sur le mode de ce que le philosophe Sloterdijk nomme avec humour le fascisme d’amusement. Mais plus nous entendons maîtriser la nature avec l’essor des biotechhnologies, plus cette nature se soustrait à cette volonté de maîtrise et de publication intégrale. Et, comme dans un effet boomerang, la tentation du contrôle intégral du sauvage par l’artifice, se retourne contre nous (vache folle, chiens dangereux, poulets en batterie), de sorte que l’animal nous échappe dans le mouvement même où nous croyons pouvoir le saisir, dans une sorte d’impossible coïncidence entre lui et nous , d’ouverture et de fermeture constantes de l’un à l’autre, de l’un vers l’autre.

Au point que l’on peut décrire l’histoire de l’humanité comme un jeu de cache-cache, de leurre, de manipulation constante de l’animalitas, et de jeu de l’humain avec le non-homme en lui, avec sa propre animalité.

Les techniques les plus traditionnelles du cache, du positif et du négatif, du calque, des surimpressions et des palimpsestes, du brouillage, sont mises ici au service de cette histoire de leurre et de cache-cache, qui déborde en un sens les cadres de l’histoire de l’art, et s’affirme au-delà des esthétiques de la perfection voulues par les avant-gardes. Il faut pourtant « sauver le contour » (Francis Bacon) comme calcul haptique et optique à la fois en vue de la saisie du réel, mais en se souvenant que « le réel, c’est ce qui fait trou » (Lacan). Il faut sauver le contour dans le savoir du vide central de l’objet qui est l’objet de cette saisie, impossible objet qui ne se donne qu’en se réservant, en se refusant à toute capture et à toute saisie, ou qui ne se donne que sur le mode de l’accident, du fragmentaire, du lacunaire. Ainsi de l’animal, et de la peinture elle-même, entendue sur le mode, lacunaire et excédentaire à la fois, d’un au-delà de cet ensemble de techniques qui, sous ce nom de peinture, jalonnent notre l’histoire de l’art.