Norbert Hillaire à Enghien-les-Bains

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A fleur de monde

Dans le cadre de la huitième édition des Bains numériques, festival organisé chaque année par le Centre des arts d’Enghien-les-Bains, la médiathèque George-Sand accueille jusqu’au 28 juin une exposition consacrée aux œuvres récentes de l’artiste et théoricien de l’art, Norbert Hillaire. Photomobiles propose une série de triptyques et diptyques composés d’images réalisées avec un téléphone portable. A la fois sensible et conceptuelle, chaque association propose une part du réel sous forme de fiction. A moins que ce ne soit l’inverse !

La salle est spacieuse, les murs blancs intensifient la lumière qui plonge depuis d’immenses vasistas inscrits dans le plafond. Au centre des étagères pleines de livres et, disséminés de part et d’autre, de petits fauteuils rouges ainsi que quelques tables et chaises attendent les lecteurs. En ce début d’après-midi, la médiathèque George-Sand d’Enghien-les-Bains s’apprête à inaugurer l’exposition Photomobiles de Norbert Hillaire. Le bruissement d’allées et venues inhabituelles se fait entendre. Chaque détail compte. Aux cimaises, des diptyques et triptyques se répondent. Ils déploient une saga contemporaine, faite de temps abstraits et de raccourcis énigmatiques. Ces fictions sont composées d’instantanés capturés par un téléphone portable, presque volées, au fil d’un quotidien aux airs anodins mais dont l’artiste s’applique à révéler l’essence. « Nous vivons en permanence avec des images. Elles accompagnent notre vie, redoublent notre expérience du réel. Elles ne sont plus une mise à distance du monde. Ces appareils au bout de nos mains sont en contact direct, immédiat, avec lui. » Sa voix porte dans l’espace. Une vidéo le montre installé dans un café, occupé à répondre à des élèves de Master. Il faut dire que Norbert Hillaire est aussi théoricien de l’art et des technologies, professeur à l’université de Nice Sophia Antipolis et directeur de recherches au laboratoire Art & Flux de Paris 1. « Dans le monde contemporain, on se rend compte que les relations entre la pratique et la théorie ont beaucoup évolué. L’artiste peut être aussi critique d’art ou philosophe. Il n’y a plus de découplage. » Ainsi chez lui, tout évolue de concert. « L’art n’est pas dissociable de l’intention. Il y a toujours une pensée à l’œuvre dans la main. Celui qui crée ne peut pas être un homme de pur concept. Il se doit aussi d’interroger le support. » Cadrage singulier, flou accepté, jeu de couleurs, rythme des formes… Le mobile, dont l’intéressé avoue volontiers être assez addict, lui permet de saisir des bribes d’un environnement gorgé d’évocations. A l’intérieur d’un train, sur la plate-forme d’une station-service ou simplement dans son salon, un reflet fait naître une peinture, une forme géométrique réveille une avant-garde, un angle droit rappelle une architecture, une atmosphère trouble accouche d’un poème… Norbert Hillaire traque l’art à fleur de monde. Puis vient le moment du choix, de la composition de sens. Un travail d’assemblage vécu comme pourrait l’être celle du montage au cinéma. Il s’agit de regarder sa production à l’aune des anciens médias de l’art et d’ordonnancer les triptyques. « Je peux retrouver les tremblements du temps, les maladresses des débuts de la photographie », explique en exemple l’artiste. Tantôt les peintres de la Renaissance sont convoqués, tantôt les impressionnistes. Le champ des références est infini. « Pourtant, il faut savoir achever un tableau. Je suis heureux quand une image trouve son point d’attache dans une histoire, une transmission, une forme d’immobilité. “Je hais le mouvement qui déplace les lignes”, écrivait Baudelaire. J’utilise les outils de la mobilité pour fixer les choses. J’aime les statues, les monuments funéraires, la vie, mais aussi le dialogue qu’elle établit avec la mort. Le plus difficile aujourd’hui, c’est de se stopper, de prendre du recul, de tenir le monde à l’arrêt. » La vidéo se termine. Arrive alors l’artiste en chemise rose fuchsia. Le temps de l’échange a sonné. Rencontre.

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