La Réparation dans l’art
Éditions Scala, octobre 2019
Constatant que l’homme ne considérait plus le monde que comme l’occasion de son pouvoir, Francis Ponge écrivait, en 1950, qu’il appartenait aux artistes de prendre le monde en réparation dans leur atelier.
Coincé entre le monde des objets techniques et la référence à la morale et au Droit, le mot de réparation n’est pas facile à manipuler, tant il paraît éloigné des questions de l’art. J’ai voulu pourtant en explorer, dans la suite de Ponge, la paradoxale et insistante actualité, en un temps gouverné par l’obsolescence programmée des objets et le dogme économique de la destruction créatrice.
J’ai ainsi découvert dans mon enquête, à travers certains artistes ou écrivains, certaines villes (Venise), certaines entreprises (Hermès), certains thèmes (la disqualification des ornements au temps des premières avant-gardes du XX° siècle), certaines pratiques ( l’art de la réparation des objets dans les cultures traditionnelles – textiles Boro, objets blessés dans l’Afrique subsaharienne, ou art du Kintsugi au Japon), mais aussi certaines questions posées par la restauration des œuvres d’art ou des monuments, ou encore les emplois de ce mot dans certaines traditions (le Tikkun ou réparation du monde dans la mystique juive de la kabbale), que ce mot parle au plus profond de notre temps, et qu’il nous dit aussi le merveilleux recommencement du monde.
« J’ai lu et relu le livre de Norbert Hillaire, il m’a mis sur la voie de la réparation. La réparation appartient aux âges des petits moyens et des énergies détournées. La réparation vient après. Cet après est la sollicitude de la descendance sur l’événement. Elle a le regard tourné vers les villes en feu. »
Bruno Pinchard (extrait de la préface)
Table
Introduction 13
I. PRENDRE LE MONDE EN RÉPARATION 27
Gueules cassées et morts sans sépultures : les fantômes
de la Grande Guerre, et les crimes irréparables de la Seconde 29
Esthétiques de la blessure et de la réparation dans l’art du xxe siècle 31
Avec, avant et après Adorno 33
Francis Ponge : Le Parti pris des choses et l’Atelier de Braque
ou comment prendre le monde en réparation 38
Jean Paulhan et Jean Fautrier 44
Antonin Artaud : scandaliser, détruire et réparer 47
Prendre le monde en réparation : les colères d’Arman 53
II. RÉPARER LA MODERNITÉ DANS LE MIROIR DES CULTURES TRADITIONNELLES 57
Le kintsugi ou l’art céramique de la réparation : un autre rapport au temps 62
La réparation des boro, continuité et discontinuité 67
Le sens des « objets blessés », réparés et hybrides
dans les cultures traditionnelles 70
Mohamed Bourouissa et The Horse Day,
ou la mélancolie réparatrice des rêves brisés d’indépendance 74
Kader Attia, ou la réparation mise en abyme dans le miroir
d’une autre modernité 78
Le restaurateur d’oeuvres d’art est-il un réparateur comme les autres ? 89
III. ENTRE « DÉPENSE » ET « ÉCONOMIE », LA RÉPARATION 109
L’art de la réparation en question 111
Les actions-réparations d’Emmanuel Bayon 113
Exposer l’art de la réparation 122
Esthétiques de la fragilité 126
Les « co-fragilités » de Kawamata 132
La leçon de Shigeru Ban 133
Questions d’échelles (1) : Jan Vormann 137
Questions d’échelles (2) : Capture, Grégory Chatonsky 138
Questions d’échelles (3) : El hombre con el hacha y otras
situaciones breves, Liliana Porter 150
Écosystèmes vains 153
Transferts d’énergies électriques et artistiques : Yann Toma 155
Réparer les injustices du modernisme ou requalifier les ornements 161
Pour une parergonomie 185
Tiene el Duende 193
Entre esthétique et prothétique, les choix d’Aimée Mullins 202
Hermès : le luxe, c’est ce qui se répare 210
Les marques de libraires et d’imprimeurs ou le miracle
des commencements 230
Venise ou l’éternelle réparée 234
IV. L’ART, LA LITTÉRATURE ET LE TIKKUN OLAM 249
La réparation et le tikkun olam : la Kabbale
dans les esthétiques et poétiques modernes et contemporaines 253
Georges Perec : La Disparition comme esthétique de la réparation 276
Anselm Kiefer : seuls les poèmes ont une réalité 285
Du compotier brisé de Cézanne à Christian Bonnefoi :
vie et mort du papillon monarque 298
Harun Farocki, un dispositif contre les dispositifs 317
Loris Gréaud : entre les oeuvres, questionner l’espace de l’art 322
Réparer la langue : Antoine Compagnon, Roland Barthes
et le plaisir du texte 328
Réparer le monde : La littérature française face au xxie siècle
d’Alexandre Gefen 333
Pascal Bacqué, ou les rimes d’idées au défi de la réparation 339
Biographie
Essayiste, chercheur, artiste, Norbert Hillaire est professeur émérite de l’université de Nice (Sciences de l’art et digital studies), où il a dirigé le département des Sciences de l’information et de la communication. Il préside l’association Les murs ont des idées, spécialisée dans la réflexion critique et prospective sur l’habitat et la ville.
Il est, depuis les années 80, l’un des animateurs, en France et à l’étranger, de la réflexion critique sur l’évolution des techniques dans l’art et la culture, les grandes ruptures de la modernité et les relations entre l’art, l’artisanat et l’industrie. Son livre, l’art numérique, co-écrit avec Edmond Couchot (Flammarion 2003 et Champs Flammarion 2009), fait aujourd’hui référence.