L’escargot de Cossa

La première de ces œuvres est une œuvre picturale. Il s’agit d’un tableau de Cossa, qui représente une annonciation, avec le cortège des éléments qui composent une annonciation « canonique » : Dieu le Père perché dans ses nuages, la colombe, l’archange Gabriel, les colonnes, la sainte vierge, l’infini figuré par une architecture qui se confond avec le ciel et qui s’enfonce dans les arrières mondes du tableau, etc1. Oui, mais il y a un intrus, un ingrédient de trop, et qui vient troubler la belle ordonnance de cette annonciation, par la présence saugrenue qu’il impose à l’ensemble des témoins, à savoir nous-mêmes, les spectateurs, et les personnages du tableau. Un escargot situé dans une position instable au regard de l’équilibre des choses : sur l’arête fuyante qui sépare l’espace fictif de la scène représentée et l’espace réel du spectateur ; est-il une part du tableau connue et que les personnages ont entraperçue, détail trivial qui vient déranger la souveraineté de la scène ? Est-il un intrus, qui veut, comme la bande dessinée nous y a habitués depuis, prendre le spectateur à témoin de la scène ? Pas même : Il semble que la position de cet escargot soit indécidable, même pas celle d’un insecte qui serait venu se poser sur une toile de maître pour en déranger le silence et l’ordre immuable (Arrasse nous rappelle que ces mouches et autres insectes sont coutumiers dans certains tableaux des maîtres de l’art classique). Notre escargot est sur une ligne incertaine, sur le bord du tableau, pas même entrant dans l’espace du tableau pour suivre la ligne de fuite de la perspective qui le conduirait vers Dieu et l’infini (lentement mais sûrement), pas même non plus engagé en direction du spectateur – ce qui le conduirait à quitter l’illusion perspective et théologique dans lesquelles il est pris et rejoindre ainsi l’espace fini et réel du spectateur. Il se déplace de profil, d’un bord à l’autre de la scène, comme un chien qui traverserait par erreur la scène de l’opéra Garnier en pleine représentation de Cosi Fan tutti.

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