L’oeuvre d’art portée disparue au lieu de son événement même (2008), in Norbert Hillaire, L’expérience esthétique des lieux, L’Harmattan, collection Ouverture philosophique Esthétiques, 2008, ISBN : 978-2-296-05715-9 • juin 2008 • 306 pages

Norbert Hillaire, L’expérience esthétique des lieux, L’Harmattan, collection Ouverture philosophique Esthétiques, 2008

Jusqu’à quel point l’oeuvre d’art peut-elle s’affranchir de toute référence à un site, un milieu, de toute appartenance communautaire, semble se demander l’art de notre temps, en réponse à la crise des territoires et des espaces globalisés d’aujourd’hui. En ce temps qui est celui de la remise en cause du paradigme formaliste du modernisme et de l’oeuvre autoréférentielle, mais aussi de l’affirmation du paradigme du réseau dans le champ technique et social, il s’agit de repenser la relation entre l’oeuvre d’art et le monde, et de s’interroger sur les réponses diverses données aujourd’hui par les artistes à ces questions (esthétiques relationnelle ou participative, mais aussi esthétiques de « l’enaction » et de l’autopoïèse, dans un certain art des réseaux). On sait que les compositeurs de l’âge classique oeuvraient dans un système qui leur était imposé et qui se présentait pourtant comme « naturel ». De manière générale, alors que l’art de l’âge classique, repose sur le respect de canons fixés par la tradition, l’art de l’âge moderne n’a de cesse d’inventer ses modèles en se projetant vers le futur, et non à les rechercher dans l’imitation des anciens. Cette libération a cependant son prix, elle peut conduire à une forme de solipsisme, risque auquel les compositeurs ont cherché à répondre en introduisant dans la musique les problématiques du hasard et de la détermination, de la nécessité et de la contingence ainsi qu’une interrogation très poussée sur ce qui constitue une oeuvre comme ouverte ou fermée, fixe ou variable. L’oeuvre semble partagée entre deux polarités : celle de la norme et celle de l’écart, celle du contrôle et celle de la liberté : dans la musique cela se traduit par une volonté de maîtrise absolue de l’oeuvre d’un côté, ou au contraire par une extrême indétermination, qui laisse une place importante à l’interprète, au hasard, à l’aléa. On aperçoit ici une problématique fondamentale de notre temps, et qui est au coeur même du paradigme des réseaux, en même temps qu’elle traverse l’art de l’âge moderne et contemporain : c’est la question du contrôle et de la liberté, du contrôle et de la libre circulation. Il semble, qu’avec les réseaux numériques, et l’essor incontrôlé des technologies, cette question n’en finisse pas de se poser avec plus d’insistance encore à l’art de notre temps. Un autre couple accompagne la modernité (il s’annonce déjà avec l’avènement du baroque) et semble se prolonger dans l’art de notre temps, c’est le problème de l’équilibre, ou du choix entre une esthétique de la surcharge ou de l’ornement, et une esthétique de la réduction minimaliste, ce fameux less is more que l’architecte Ludwig Mies van der Rohe avait placé en exergue au programme minimaliste du siècle dernier. Ce problème est en effet posé avec d’autant plus d’acuité que la modernité, c’est la fin des règles et des conventions qui permettaient de contenir l’oeuvre à l’intérieur de certaines limites formelle d’expression, limites qui lui ouvraient paradoxalement les conditions mêmes de sa reconnaissance et de sa lisibilité ultérieures. Avec la fin des règles, des codes et des conventions, c’est alors, en même temps que l’affirmation de l’autonomie de l’art, le risque du solipsisme qui menace, et, en effet, la modernité aura été aussi ce grand malentendu entre l’art et ses publics.

Le chef d’oeuvre inconnu ou la fin des points de vue surplombants 1

Publication Date: 2008

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