Temps, mémoire, œuvre et objet technique

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Gilbert Simondon définit l’objet technique comme procédant d’une intégration à la fois spatiale et temporelle au sein de ce qu’il appelle un milieu technique, ou plus exactement un milieu associé. La technique est décrite chez Simondon en termes évolutionnistes de lignée, telle une zootechnique, dont certains individus finissent par exister plus que d’autres, jusqu’au stade dit de concrétisation de cet objet technique, qui est ce stade atteint par l’intégration de plus en plus réussie des fonctions de l’objet technique, à travers le va et vient entre cet objet et ses usagers.
Ainsi, l’individu technique n’est jamais seul (contrairement à l’homme moderne ou à l’artiste que l’on décrit parfois à juste titre comme un déshérité). Au niveau temporel, il suppose de prendre place dans une lignée (elle-même faite de divergences et de convergences), et, au niveau spatial,  dans un milieu associé. Un milieu associé repose sur l’idée qu’un objet technique ne peut fonctionner qu’en relation avec d’autres objets techniques, telle la locomotive, qui ne s’avance jamais sans ses rails, gares, et autres passages à niveau. Certains  objets techniques attendent longtemps leur stade de concrétisation, ils relèvent alors de ce que Patrice Flichy, théoricien de l’innovation appelle, dans une perspective proche bien que plus centrée sur les usages, des objets frontières (c’est-à-dire des objets qui apparaissent comme un compromis entre les attentes de plusieurs acteurs, innovateurs et usagers, c’est le stade atteint par l’innovation quand celle-ci rencontre son public et se socialise). Ce stade de l’objet frontière est précédé en général par un autre stade de l’innovation, que Flichy, nomme l’objet valise, et qu’il définit comme ce stade au cours duquel les ingénieurs imaginent autour d’une innovation un grand nombre de dispositifs techniques destinés à des usages très nombreux.

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